Piacere! Piacere! La pâtisserie Turin de Briançon

En guise de clin d’œil à la suggestion postée ce matin par un commentateur avisé, voici mon premier billet de photographe-blogueur entièrement dépourvu de photo!…

De toutes façons, je n’ai aucune photo de la pâtisserie Turin de Briançon, ce n’est pas compliqué. Et pourtant il y aurait de quoi faire… Mais, pour l’heure, je n’ai pas encore osé.

Je plonge dans mon carnet de l’été passé et je trouve quelques notes, prises en direct.

Mais avant tout il faut imaginer le décor. Dans la pente d’une des plus belles rues du monde (j’exagère? disons que c’est comme le « plus beau village de France : il y en a des dizaines!…), une boutique en longueur, qui fait l’angle. De la rue (ou plutôt : de la Grande Gargouille, ce n’est pas comme ça qu’elle s’appelle, mais c’est comme ça qu’on l’appelle), quelques marches, qui bien sûr suivent la pente de la montagne. En haut des marches : la petite vitrine des glaces, sur roulettes, et un présentoir à meringues. Roses ou blanches, les meringues. Grosses et sèches, faites au moule, à l’évidence. Sans amandes. On a le droit de leur préférer celles de la boulangerie Osmont de Rouen, qui sont insurpassables! Sur le volet, à droite : une liste non-exhaustive, écrite à la main, des trésors que l’on trouve à l’intérieur. Ajoutée cette année, la mention « siamo italiani » [nous sommes Italiens]… Avis aux touristes qui ont passé la frontière toute proche et sont déjà en manque d’un bon expresso! Derrière la vitrine des glaces : le vendeur. Italien. Discret, élégant, efficace, agréable. Prend son métier très au sérieux. À droite, le long du mur, sur plusieurs mètres : le banc. Celui sur lequel je passe des heures à rêvasser, à regarder le théâtre du monde (un théâtre à l’italienne, bien évidemment) rapporté à l’échelle cette merveilleuse pâtisserie. Un banc en bois où chaque « place » est séparée de sa voisine par une petite tablette où l’on peut faire tenir une assiette avec une portion de pizza, un verre à pied et une petite bouteille de San Pellegrino, et un café. En face du banc : la vitrine/le comptoir. Dans la vitrine : des dizaines de pâtisseries, juste à hauteur de nez d’enfant. Derrière la vitrine : la patronne. Italienne. Bonne comme du bon pain. Un peu fatiguée, mais le cachant bien. Toujours occupée à mille tâches. Elle sert au comptoir, fait le café, fait la vaisselle, sert les pâtisseries, vient servir une glace quand le serveur est occupé dans la salle du fond, répond au téléphone… et bien sûr fait la conversation avec tous les clients, en français et en italien. Je n’aime rien tant, bien sûr, que quand la boutique est remplie d’Italiens. Ça arrive souvent. La patronne est l’axe autour duquel tourne toute l’activité de vente de la pâtisserie. Son mari (le patron, donc) partage son temps entre la cuisine, la boutique, et la salle du fond, où l’on peut se faire servir un repas chaud le midi, et qui fait salon de thé, l’après-midi. Le patron ne ressemble pas du tout au stéréotype de l’Italien. Mais, même s’il n’est pas très exubérant, il est très italien! Tout en douceur. Plutôt pâle de peau, et souriant.

Il y a quelques années, j’avais compris que vivaient au-dessus de la boutique, et y descendaient parfois tout doucement, un couple très âgé. À l’évidence, les parents de l’un des deux. De la patronne, je crois. L’an passé, je n’ai vu que le vieux monsieur. Cette année aussi. Dois-je comprendre…? En tous les cas, le vieux monsieur fait partie du décor, et a sa part dans la pièce qui se joue ici.

Voici donc ce que j’écrivais l’an passé :

« À la pâtisserie Turin, assis entre deux Italiens, avec le serveur préposé aux glaces, la patronne, et le patron qui passe la tête. Piacere! La marque du percolateur : Futurmat. Il fait des prodiges! J’en prends deux! Pourquoi suis-je si bien ici?… Envie d’y passer l’après-midi, d’y revenir cet hiver! Petit va-et-vient d’Italiens surtout, avec le vieux qui intervient de sa voix presque aphone, qui se lève difficilement de son petit coussin sur le banc, va jusqu’au pas de la porte, et revient, se rassoit, et re-contemple la vie de la pâtisserie… La patronne qui vaque, fait la vaisselle, commente la fabrication du diabolo-grenadine qu’on vient de lui commander dans la salle du fond, tente de trouver parmi les boissons italiennes l’équivalent d’un Schweppes, sert une pâtisserie, discute un peu, regarde le vieux (son père, d’après ce que je comprends) avec tendresse et bienveillance… En tous cas c’est le père d’un des deux! Il y a deux ans, je l’avais vu émerger tout doucement, accompagné de sa femme (où est-elle aujourd’hui?…) d’une porte que je n’avais pas vue dans le panneau boisé, au bout du banc, en face de la vitrine aux pâtisseries! Porte donnant sur l’escalier menant à l’étage, sans doute. Je pense à Vittorio, l’ami créateur génial de pizzas de Toronto, qui à lui tout seul donnait vie à tout Kensington Market! C’est moins exubérant ici, pas d’opéra gueulant d’un unique haut-parleur posé sur le trottoir, pas de patron grivois et charmeur… mais cette même langue magnifique bien sûr, ce même amour évident de la bonne nourriture et du respect du client par la vente, à des prix raisonnables, de bons produits. À l’instant la patronne apporte un verre d’orangeade à son père, puis passe devant nous avec un croissant ouvert en deux. Elle se le remplit de glace et s’assoit à ma gauche pour le manger en discutant avec le serveur. Et le manège reprend ses tours toujours différents. La marchande d’à côté vient acheter une glace, elle a tellement peu de clients qu’elle s’ennuie à mourir et craint de s’endormir! Elle plaisante avec le serveur. Un couple d’Italiens s’arrête vingt secondes au comptoir, le temps de boire un expresso. La voisine revient, sa glace à la main. Quelques touristes avec enfants pour des glaces, mais surtout des habitués, dirait-on. Ah, le style du serveur, débonnaire, Rital tellement! La façon qu’il a de rendre la monnaie, tirant de sa poche son porte-pièces en plastique rouge, tendant les pièces entre pouce et index, le petit doigt en l’air! Eh bien sûr son délicieux accent italien quand il parle français. Tout me plaît ici, c’est comme un voyage en Italie, certes toute proche, sans quitter la France! C’est le rendez-vous des Italiens du coin, les plus pittoresques, les plus typiques, les plus croquignols! Des centaines de photos à faire ici, un film passionnant! Je vais quand même aller me promener un peu ailleurs — pas sans avoir demandé s’ils sont ouverts en hiver! Oui : ils ferment un peu en mai-juin et un peu en novembre, après la Toussaint. Ouverts tous les jours sauf lundi. »

Rentré au chalet, j’ajoutais :

« Retour à la montagne des vaches (dans les temps anciens, pas si lointains, mais qui reculent, qui reculent…), à la cheminée qui crépite derrière moi, au petit lumogaz qui éclaire la plume courant sur le carnet, au vent qui a repris et vient d’ouvrir la porte, à l’odeur énivrante du mélèze qui brûle et embaume tous mes vêtements, au plaisir que j’ai encore en bouche, en yeux, en âme, de la petite heure passée à la pâtisserie Turin… Piacere! Piacere! La dernière fois que j’avais entendu de l’italien comme ça autour de moi, c’était à Asiago, chez Rigoni Stern, et à Vicenza, et à Venise, au cours de ces trois journées inoubliables (et qui pourtant reculent… reculent…) passées là-bas en juin 2007… Rigoni Stern dont j’ai rapporté Le sergent dans la neige au chalet aujourd’hui, que j’avais envie de relire ici avant de repartir en Normandie plein de résolution, et gaillardement requinqué, maintenant que j’ai avalé Boudard (L’hôpital), Juliet (L’année de l’éveil), et le phénoménal Mort à crédit, dont la verve dans la mouscaillerie et la rouscaillerie m’a foutrement épaté! Oui, je vais me renvoyer l’épopée hallucinante du jeune Rigoni, pour le plaisir, et pour peut-être bénéficier un peu de la force de vie qu’il en a dégagé pour le reste de sa vie à lui, qu’il a vécue si pleinement et si sereinement et si simplement et si humainement et si puissamment et si sensément et si généreusement jusqu’en juin 2008… »

 

© Loïc Seron – juillet 2009 / 28 août 2010 – www.loicseron.com

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4 commentaires pour Piacere! Piacere! La pâtisserie Turin de Briançon

  1. Peu importe dit :

    Merci pour ces images d’un texte qui aurait peut-être pu s’appeler aussi « La vie comme elle va », émission disparue et regrettée de Francesca Piolot (encore l’Italie ?). La prochaine fois que j’irai flâner dans la vieille ville, ce sera donc avec un « croissant à la glace »; j’y retrouverai sans nul doute mes pas d’enfant, les pieds nus dans la gargouille et le coeur dans les étoiles.

  2. marie dit :

    voici les photos Pâtisserie Turin de Briançon http://www.facebook.com/patisserieturin

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