La Sardaigne en automne : altri pomodori sono possibili!

Un jour j’ai vu un film.

Vous aussi, vous l’avez vu?… Ça ne m’étonne pas. Vous êtes formidables!

À un moment dans ce film, j’ai vu, l’espace de quelques secondes, un paysage magnifique. Un vignoble, sur une colline. Un ciel de soleil et d’orage. Une lumière riche et dorée, absolument magnifique.

Dans le vignoble, on voyait un vieil homme, lumineux, malicieux, éloquent, parler de sa terre, de sa façon de faire du vin, et, en quelques mots, de façon magistrale, de la vie.

Je me suis dit tout simplement : « un jour, j’irai là ».

Ce film, c’était Mondovino, de Jonathan Nossiter. Cette terre, la Sardaigne. Cet homme, Giovanni Battista Columbu. Ce vin, la Malvasia di Bosa.

Ce jour, c’était il y a plus de cinq ans.

Il y a quinze jours, j’ai acheté un billet d’avion pour aller en Sardaigne. J’ai trouvé comment me rendre à Bosa. J’ai passé deux coups de fil. Un pour réserver un lit à l’auberge de jeunesse de Cagliari, à mon arrivée. Un pour réserver une chambre chez l’habitant à Bosa, pour cinq jours à partir du lendemain. Par hasard — ou pas vraiment par hasard — je suis très bien tombé…

Dans mon sac, lundi dernier, j’ai mis six kilos d’appareils photo et de pellicules (noir et blanc bien sûr, mais pour la première fois depuis plus de dix ans j’avais acheté trois pellicules couleur), mon petit dictionnaire français-italien, deux carnets vierges, des vêtements pour trois jours, un bout de savon pour les laver une fois, le toujours surprenant et instructif A moveable feast de Hemingway à relire dans l’avion, et basta!

Comment dire le plaisir puissant, incomparable, qu’il y a à partir comme ça, quasiment au hasard, et à découvrir un trésor?… J’espérais trouver cette lumière, ces vignes… et je ne m’attendais à rien de plus. Vraiment. Et quand le bus a passé le petit col, s’est engagé sur la corniche, j’ai aperçu ça :

Ma chambre était dans une maison au bout de la rue principale de la vieille ville, et les ruelles alentour ressemblaient à celle-là :

Et dans toutes ces ruelles, les maisons ressemblaient à celles-là :

À deux pas de la maison, le front de fleuve offrait des vues comme celle-là :

 

Quelques heures après mon arrivée, j’étais attablé devant un verre de Malvasia « vecchia », sur une placette de la ville, en compagnie de mon logeur — qui était déjà devenu un ami — , à deux pas de la maison de Giovanni Battista Columbu, quatre-vingt-onze ans, dont la Malvasia venait d’être élu meilleur vin d’Italie 2010…

Un peu plus tard, nous dévorions un carré de pizza gorgonzola-aubergine à se damner, qui m’a rappelé instantanément les inoubliables pizzas de l’ami Vittorio de Toronto, paix à son âme de mécréant, dont j’avais toujours désespéré retrouver un jour les saveurs hallucinantes…

Le lendemain soir, grâce à l’amitié de mon logeur, Sem, qui se révélait être un ami de la famille, je me retrouvais attablé devant un verre d’Alvarega de chez Columbu (la petite sœur de la Malvasia), dans la petite maison des vignes où les séquences de Mondovino avaient été tournées, en compagnie d’un des fils de Giovanni Battista, Gian Michele…

Et la veille de mon départ, je retournai dans les vignes avec Gian Michele, qui m’offrit la possibilité de photographier la propriété, et me fit cadeau, avec un ami, d’un repas d’amitié et de partage que je n’oublierai jamais.

 

La suite en noir et blanc, et un peu en couleur, prochainement. Entre ce panorama aperçu depuis le bus le mardi après-midi et mon départ dimanche matin, une foule de choses bien sûr… des rencontres… des kilomètres parcourus à pied… beaucoup de photos bien sûr… J’ai découvert une petite ville unique, une campagne sauvage, magnétique, avec notamment des oliveraies aussi humbles qu’extraordinairement photogéniques, quelques carrés de vigne bien sûr, un bord de mer d’une beauté à couper le souffle… Et quelques représentants d’un peuple étonnant, farouche et merveilleusement accueillant. Les pieds sur terre, la tête sur les épaules, les idées claires… vivant de peu mais vivant bien, tout simplement. Refusant avec une force peu commune les endoctrinements de toutes sortes : ceux de la politique-caniveau de l’Italie continentale, de la télé-poubelle qui va avec; de la société consumériste en général et con-touristique en particulier; du fric qui salit tout quand il ne sert pas les fonctions les plus vitales.

La Malvasia est un raisin extrêmement avare, au rendement très faible, et donc pas rentable. Seuls deux producteurs ont fait du métier de vigneron leur unique activité professionnelle. Les Columbu produisent un vin absolument excellent — qui avait subjugué Jonathan Nossiter à la première gorgée — qui est quasi-exclusivement réservé à la famille et aux amis. Les quelques ventes servent à rembourser les frais engagés pour le produire. Un vin pour le plaisir, donc. Cette démarche  est parfaitement représentative de ce que les Sardes semblent vivre au quotidien. Avec réalisme, sans oublier bien sûr de faire ce qu’il faut pour gagner honnêtement et correctement leur vie. Mais sans plus, et en prenant le temps de vivre, de partager, d’échanger. Et de rigoler très fort avec les copains autour d’une table modeste mais excellente.

Mon seul regret, ou plutôt, vu les circonstances, une des raisons d’avoir envie de retourner à Bosa dès que possible : je n’ai pas rencontré Giovanni Battista Columbu. Il est très âgé et encore très occupé. Et je n’ai pas trop insisté, pour la simple raison que le lendemain de mon arrivée, en allant prendre mon bus pour Bosa, j’ai bêtement fait tomber mon Leica. Pas de très haut, rien de très grave. Mais le télémètre n’en est pas sorti indemne, et j’ai fait toutes mes photos au jugé pour ce qui était de la mise au point… Pour des paysages, a priori, on peut s’en sortir (je tremble et tremblerai néanmoins le temps de récupérer mes planches contact). Mais pour un portrait, c’est nettement plus difficile, voire franchement impossible. Alors, j’espère très fort… la prossima volta.

Vous ai-je dit aussi que j’ai mangé les meilleures tomates de toute ma vie?… De toutes formes, tomates fraîches longues achetées à la boutique de prodotti locali, tomates-cerises poussant au bord de la route au-dessus du fleuve, tomates séchées gorgées d’huile d’olive offertes par Gian Michele Columbu sous la treille, devant la maison des vignes…

Altri pomodori sono possibili. Oui, d’autres tomates sont possibles! C’est l’ellipse symbolique que je retiens de ces quelques jours passés en Sardaigne.

© Loïc Seron – 26 oct 2010 – www.loicseron.com

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13 commentaires pour La Sardaigne en automne : altri pomodori sono possibili!

  1. Superbe ! Mais les vignobles de l’Entre-deux mers, sont superbes, eux aussi… Et à consommer sans modération.
    Claude

  2. hamelet bruno dit :

    je bois ta sensibilité Loîc et espère découvrir cette ile et son nectar
    un de ces jours.
    bye
    bruno

  3. Thomas dit :

    C’est une fête !
    Merci pour les tableaux, Loïc.

    T.

  4. Ledo Jean dit :

    Ben mon gas
    Un beau voyage et un leica de chute.
    Du bon temps et de bien belles images.
    Mais n’est-ce pas une vision bien idyllique de la Sardaigne?
    J’ai lu il y a peu des articles dans le Monde qui donnait une autre image de la Sardaigne et des sardes. Mais c’est comme partout il faut de tout pour faire un monde. Et le bon vin arrange toujours un peu tout.
    Salut à toi
    Jean

  5. SANDRINA dit :

    Bonjour,

    je suis très touché par votre regard flatteur envers ma terre « belle et ingrate » comme je l’appelle, depuis que je l’ai quitté il y a 11 ans.

    Je me suis étonnement retrouvée dans vos commentaires : « je suis farouche et accueillante, les pieds sur terre, la tête sur les épaules, les idées claires… vivant de peu mais vivant bien », ni formatté, ni formattable, je refuse de rentrer dans un moule et je le ressent encore plus maintenant car je suis en recherche active d’un travail.
    Je ne veux pas me faire à l’idée du boulot, métro, dodo et maintenant j’ai compris.

    Mon mari me dit : « Comme cela tu ne vas jamais retrouver un travail », je réponds « je suis à prendre ou à laisser » car je pars du principe que je ne suis pas un demandeur d’emploi mais que j’offre des compétences », tout ce que je veux c’est du respect, le même que je donne aux autres.

    En effet, je veux juste prendre le temps de vivre, de partager, d’échanger avec les copains autour d’une table, je ne veux pas le mauvais côté de notre société de consommation.
    Alors merci pour vos commentaires qui me réconfortent, fière, têtue et susceptible comme tous les sardes, j’ai aussi beaucoup de bons côtés.

    Merci encore et bonne continuation

    Sandrina Serra

  6. maia dit :

    eh bien…il aurait été dommage en effet que tu oublies tes pellicules couleurs, la photo du fleuve est magnifique ! Voilà des vacances telles que je les aime, des rencontres, des saveurs et des images pleins la tête, ça donne envie ! merci pour le voyage…et vivement les noir et blanc !

  7. sylvie dit :

    Superbe …et hop un petit lien secret pour découvrir la Sardaigne en images :
    http://www.facebook.com/pages/Sardaigne-Sardegna/355528973278?ref=sgm

  8. catherine dit :

    Tu nous emmènes à chaque fois avec toi : merci Loïc. 38 ans déjà que j’avais choisi cette découverte : les nourages , les bergers, le vin, l’Italie +d’autres sensations que je retrouve dans les romans de Milena Agus voilà ce dont je me souviens . Mais d’un coup j’ai sauté dans l’avion avec toi j’ai revu le film et la Sardaigne simultanément. Quelles belles images , quel rythme, quel plaisir tu nous donnes avec ce goût de la réalité de la vie telle qu’on la rêve , que je l’espère pour mes petites filles. Gracie mille!

  9. F dit :

    La Photo est l’image immobile du Temps…
    Or le Temps est « l’image mobile de l’Eternité »…
    Et ces photographies de la Sardaigne nous la font pressentir…
    Tes Prises de Vue, qui sont tes Prises de Position , nous laissent aussi entrevoir les paysages de ton âme…
    En retrait, derrière ton oeil de verre, par tes deux yeux, savants et poètes,
    ou plutôt, ton Regard : les yeux infinis de ton coeur,
    au travers de ta « cellule », toutes les cellules de ton être, corps et âme,
    tu guètes et captures
    ou plutôt effleures et captes
    cette infîme fraction du Monde,
    cette intime écharde du Réel.
    Ce n’est pas exhibition
    mais Invitation,
    Incitation à entrer dans chacun des univers
    que tu ne t’appropries pas
    mais que tu nous offres…
    Car ton regard est humble :
    la distance, le recul que tu laisses entre toi et le monde
    n’est jamais anthropomorphe
    encore moins anthropophage…
    Tu donnes à chaque photo sa vie en soi,
    la Vie en soi
    qui continue de vivre,
    qui engendre le vivre (ne serait-ce que cette « envie d’y aller »…)
    Pendant
    Et Après…
    Alors, merci à toi , Loïc !

  10. Env dit :

    Etre humain, ça ne se décrète pas. Ca se vit, ça se transpire, ça s’expose, ça se remet en question, ça s’engendre, ça observe, ça se tait surtout.
    Chuuuuut !

  11. moel dit :

    « C’est le tir qui me plaît. Voir et sentir et c’est l’oeil surpris qui décide. Je n’ai pas de message à délivrer » dira-t-il tout au long de sa vie, ne démordant pas d’une façon de regarder le monde qui sera aussi sa ligne de conduite, sa morale absolue.

  12. Muriel dit :

    Bon. Evidemment, j’ai pas vu le film. Et chui même pas allée en Sardaigne. Mais les couleurs, ça donne envie. Et puis, le voyage. Et l’autre. Et les verres de vin. Et les tomates. Bon sang ! Il faut se rappeler sans cesse que l’on peut choisir sa vie. C’est ce que m’évoque ta page.
    Rigolo ta présentation des images. Avec tes démonstratifs répétés. Comme si tu étais un chef d’orchestre et que tes photos étaient un air que tu voulais partager avec nous. Une photo. Un solo. Beez. Beez.

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