Merci Bernard Hérout

Bernard Hérout est mort et ses amis musiciens ont bien du chagrin… On ne saurait imaginer partenaire musical et humain plus fin et plus élégant, plus modeste et plus attachant aussi — entre autres. Bernard était un musicien total, un amateur au sens le plus noble du terme (un sens qui redonne du sens au verbe aimer), un amateur qui pouvait côtoyer les professionnels sans jamais s’en laisser raconter — bien au contraire : en élevant le débat musical par sa perpétuelle fraîcheur, sa poésie, et sa décontraction. Il avait la musique infuse, naturelle comme l’acte de respirer, pétillante et espiègle comme son regard et son petit sourire en coin. D’ailleurs il fredonnait tout le temps, quand il ne donnait pas libre cours à son humour de gentleman, pince-sans-rire et tendre à la fois.

Ce ne sont que des souvenirs parcellaires, qui ne sauraient évoquer dans son intégralité le superbe parcours musical que Bernard a effectué sur de nombreuses décennies. Mais ce sont des impressions, indélébiles, que j’ai eu la chance de glaner au fil des années en sa compagnie.

Au début des années 2000, j’eus la chance, grâce à la généreuse recommandation  d’Yves Morel, de rencontrer la joyeuse bande à Bernard, qui s’appelait à l’époque le “Combo Jazz de Dieppe”, un octet dont le répertoire était entièrement consacré à la musique de Duke Ellington, et notamment de son album enregistré avec Coleman Hawkins, qui se trouvait être un de mes disques de chevet. Je me retrouvai pour une première répétition dans le salon de la maison de Pourville, avec cette vue extraordinaire, entouré de musiciens que je ne connaissais pas, et qui devinrent instantanément des amis en jazz, avant de devenir des amis tout court. Et je découvris en Bernard un musicien absolument fantastique, et un être humain hors du commun, auquel je fus immédiatement extrêmement attaché.

Le Combo se produisit de nombreuses fois dans la région de Dieppe, à mon plus grand bonheur. Chaque solo de Bernard était une leçon de musique, une grande petite histoire merveilleusement construite, parfaitement énoncée, finement ciselée. Concert après concert, je n’en croyais pas mes oreilles, et je les ouvrais bien grandes pour espérer retenir quelque peu la richesse des phrases, des sonorités, de la sensibilité exprimée avec tant d’éloquence.

Je me souviens d’un concert sur un podium à deux pas de la plage, où nous fûmes rejoints sur scène par le vieux complice de Bernard, un autre musicien fabuleux, Jean-Claude Gogny. Il est impossible d’exprimer la joie profonde, irradiante, que l’on peut ressentir à partager sur scène la relecture de ces classiques du jazz avec de tels musiciens. C’était un véritable privilège, un cadeau de la vie dont je perçois encore aujourd’hui toute la puissance.

Et puis le Combo cessa ses activités, faute de contrat je crois… Quelques années plus tard, Bernard m’appela pour me proposer de me joindre, le temps d’un concert, aux “Dilettante Jazz Swingers”, une nouvelle formation dans laquelle je retrouvai avec plaisir Brian Woy et Dany Moulin. Un très beau nom d’orchestre soit dit en passant, dans lequel je discerne l’humour de Bernard combiné à celui, toujours exquis, de Brian. Et ce fut la première d’une série de délectables collaborations ponctuelles… C’était toujours avec un plaisir immense que je retrouvais les amis dieppois pour quelque animation ou concert en salle ou en plein air, sur un podium ou une pelouse, sous le soleil ou sous la pluie… Une joie émue à chaque fois de retrouver Bernard et de l’entendre dérouler au saxophone, à la clarinette, à la flûte, bien qu’un peu affaibli par les années, des solos d’une beauté absolue, presque miraculeuse…

Les “Dilettante” pouvaient réellement se montrer dilettantes (et cela me convenait bien!), et parfois les premiers invités de la soirée arrivaient en même temps que les musiciens retardataires, mais personne ne se formalisait de ce que l’orchestre était encore en train de monter tranquillement le matériel à l’heure où la musique aurait déjà dû résonner dans la salle… Cela tenait beaucoup, j’en suis sûr, à la tranquille assurance de Bernard et au respect qu’il inspirait instantanément chez tout le monde. Quand la musique commençait, les Dilettantes ne l’étaient plus et le swing était toujours au rendez-vous. J’adorais, et j’adorerai toujours jouer avec eux. Car il y aura d’autres occasions, bien sûr. Rien ne sera plus comme avant, mais cette merveilleuse musique de la Nouvelle Orléans l’emportera toujours sur le chagrin, si ce n’est sur la mélancolie…

Les amis de l’orchestre appelaient affectueusement Bernard “le Professeur”, et il le leur rendait bien en ne se comportant absolument pas comme un professeur, ou alors bien malgré lui. De son côté, il aimait, je ne sais pourquoi, ajouter une consonnance hispanique aux prénoms des uns et des autres : Danidos Moulinos, Ericos, Loïcos, Pierros… Pour Brian, évidemment, c’était impossible, alors il prononçait son prénom, avec une sorte d’humour anglais à l’envers, “Braillant”. Ces espiègleries linguistiques étaient comme une petite porte qui laissait apparaître, autant que ses discours musicaux enchanteurs, la profondeur de son monde intérieur, de sa fantaisie, de son originalité, et bien sûr de son attachement et de sa tendresse pour ses amis musiciens. Pour ma part, je garde au creux de l’oreille la phrase traditionnelle qui accompagnait sa poignée de main à la fin des concerts au moment où chacun rentre chez soi, cette heure si particulière où l’on se retrouve tout seul dans sa voiture, la tête pleine de musique, le cœur plein de l’amitié des copains, la vie un peu plus riche qu’en arrivant… Cette phrase, je l’ai entendue pour la dernière fois le 24 septembre dernier : “Allez, salut mon p’tit gars”.

Comme je suis heureux d’avoir photographié Bernard en 2010, dans sa quatre-vingtième année… Voir aussi ici.

© Loïc Seron – www.loicseron.com – 05 février 2011

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2 commentaires pour Merci Bernard Hérout

  1. berteloot dit :

    Bonsoir Loïc
    Je ne connaissais pas ce monsieur… mais le beau portrait que tu en fais donne envie de l’écouter… et je tâcherai de le faire les jours prochains.
    A plus tard, merci pour ces belles images, merci de nous faire partager ta sensibilité au monde.
    Isabelle.

  2. Kate Lawrence dit :

    Très beau……

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