Cet étrange frisson…

Au pas de course et toutes affaires cessantes il faut aller voir Benda Bilili! au cinéma! Film miraculeux sur ces musiciens handicapés et SDF de Kinshasa se retrouvant quasi-miraculés, à force d’espoir et d’optimisme… et de musique. Tirés des cartons de la vie (ceux que l’on étale chaque soir sur le trottoir pour y coucher sa famille) par leurs pauvres instruments aussi déglingués qu’eux, leur énergie, et leur foi — inaltérable — en la venue — inéluctable — de jours meilleurs… un jour… ou le lendemain! Tout arrive, et les musiciens, auteurs de chansons de (leur) misère qui sont toutes de véritables miracles, croisent le chemin (presque aussi misérable, toutes proportions gardées) de deux documentaristes français… et, quelques folles années plus tard…

C’est le Buena Vista Social Club africain, la « prod » en moins! Musique irrésistible, regards hallucinants qui crèvent l’écran, épopées épiques du cortège de fauteuils roulants dans la ville… sans parler des cours de philosophie dispensés par des enfants de huit ans… et un « positivisme » à toute épreuve, qui te vous secouent bien bien, de haut en bas et à l’intérieur aussi, de façon ultra-ragaillardissante!

Il suffit d’un rien pour faire un instrument de musique.

Quatre éclopés peuvent former l’orchestre le plus dynamique qui soit et électriser les foules.

Un concert peut se faire à la lueur de deux ampoules :

 

La Havane - mai 1998

De loin le meilleur concert que j’avais vu à Cuba, loin des Guantanamera pour touristes! C’était en plein air, dans une église dont le plafond était la voûte céleste. Ambiance heureuse et chaleureuse, du genre « demain est un autre jour » : les poches vides, on danse si bien!… Et on rit, et on s’embrasse, et on danse encore…

Et quand l’orage (tropical, forcément tropical) éclate, on éclate aussi, de rire, et on se replie dans une salle voisine. La soirée se poursuit comme elle avait commencé, dans la joie de la musique.

Hmm…

Quel étrange frisson… bienfaisant, apaisant, que la musique… Celle que l’on joue, celle que l’on écoute, celle qui nous fait bondir sur nos pieds, nous projette dans les bras les uns des autres… Quel pouvoir puissant elle possède, qui nous nourrit, nous guérit… davantage encore, peut-être quand elle est improvisée?… sans doute pas… mais c’est l’amateur de jazz qui parle…

L’excellent contrebassiste rouennais Clément Landais (bientôt une photo?…) me racontait l’autre jour (en voiture, en route vers un concert… il faudra raconter un jour ces instants-là…) que, plié en deux par une douleur physique insupportable un soir de fête de la musique, à la limite de l’évanouissement, il avait vu (ou plutôt senti) la douleur disparaître totalement à la première seconde du premier morceau joué. Puis réapparaître à la fin de la chanson. Disparaître à la suivante, etc.

Comment doit-on appeler cela?… Je ne sais pas… mais cela fait partie de ce que j’essaie d’attraper avec mon appareil : quand on photographie des musiciens « en plein vol »,  il arrive que l’on capte des fractions de secondes qui en disent long sur leur état intérieur…

 

John Benitez - Mont St Aignan, 1996

Roy Hargrove - Toronto, juin 1994

Joe Cohn - Louvigny, avril 2009

Mais il faudrait également photographier les spectateurs!… Car la communication non verbale de la musique fonctionne évidemment dans les deux sens, et les fulgurances des premiers, ou leur douceur, leur hargne, les nirvanas qu’ils atteignent parfois, se reflètent forcément sur le visage des seconds…

Et qui photographiera le photographe qui guette l’instant décisif au pied de la scène?…

© Loïc Seron – 04 octobre 2010 – www.loicseron.com

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