Là-haut


 

Du haut de "ma" montagne, un été au début de ce siècle

Je suis bien, là-haut. Au-dessus du monde — un peu — et au cœur d’icelui, comme le père Blaise. Au-dessus des nuages, après la pluie, quand la brume se forme au fond de la vallée puis remonte, engloutissant tout, pour se dissoudre dans l’espace par-delà les sommets. Loin de la foule; pas très loin : je la croise à chaque descente à la vallée pour un besoin vital (pain, journal, expresso à la merveilleuse, l’incomparable, la magnifique Pâtisserie Turin, dans la Grande Gargouille de Briançon…), et la regarde, hagard, comme on regarderait un troupeau d’extraterrestres…

Je suis bien là-haut et c’est pour la vie.

Auto-portrait au chalet - 2003 ou 2004

Un matin, cet été. Je me plante nez en l’air dans la prairie, jambes écartées, dans le vent doux — il a fait moins froid cette nuit. Silence total, absolu, délicieux, magique. Et tout à coup je suis pris dans une danse de martinets (deux sources sûres me disent que ce sont des martinets…). Un, puis deux, puis cinq, six, me frôlent dans leurs vols fulgurants, disparaissent, reviennent, virevoltent dans tous les sens. Et je ne les entends qu’une fraction de seconde à la fois, quand leurs ailes viennent battre l’air comme un roulement sec de caisse claire, à moins d’un mètre de moi… Tfrfrfrfrfr! Tfrfrfrfr!

Dans la prairie… au pied des arbres plantés en 2003, là où auparavant il n’y avait qu’arbustes et graminées… Ces arbres, je les ai portés sur mon dos, et aujourd’hui le plus grand balance sa tête à dix mètres du sol… Bonheur…

Au coin du chalet, la prairie commence

Il y a toujours une bonne raison de monter ici (et, comme dirait Gerber, même les mauvaises sont bonnes…). J’y suis venu par tous les temps et à tous les âges et à presque toutes les saisons.

À la fin de l'hiver, années 2000

Un peu plus haut, vers 2200m

Et c’est à chaque fois un plaisir puissant. Un grand apaisement. Une régénérescence (bouh le vilain mot!). On lit mieux, ici. On pense mieux. On dort mieux. On se rase devant un panorama exceptionnel. On passe sa journée à ne pas faire grand chose, et ça prend un temps fou. On revient sur terre. On se balade. On s’allonge et on met son nez dans la nature. On y voit de bien jolies choses…

On revient à des formes de vie plus basiques, plus simples, plus harmonieuses peut-être. Et ça fait un bien fou.

Et cet été, il en fallait, du calme et de la sérénité et du vent et de l’air pur et du silence et de la beauté et des arbres et des oiseaux, pour supporter ce qu’on pouvait lire à la une des journaux que, par inconscience ou par amour immodéré pour les expressi (et les glaces!) de la Pâtisserie Turin, je descendais acheter régulièrement, hein?…

 

© Loïc Seron – 27 août 2010 – www.loicseron.com

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11 commentaires pour Là-haut

  1. pianoman dit :

    et bien là j’ai très envie d’aller à la montagne…

  2. Vers un mariage au long cours Photos/Texte ? On dirait que ça en prend le chemin !
    Mais est-ce que les images sont forcément nécessaires quand le texte, si bien ciselé, en fait naître d’aussi belles dans la têtes du lecteur ? (On pourrait ajouter « et vice versa « ) ça se discute ! En tout ça tout cela est très réjouissant.
    Bises
    Claude

  3. Peu importe dit :

    Et au loin le Piémont, la Toscane, l’Italie …

  4. C.M dit :

    Mon royaume pour ton chalet! Plus que les cimes alpines c’est un brin de liberté qu’on y doit effleurer car quand il n’y a plus personne pour vous regarder vivre, on cesse un peu d’exister ou alors juste pour soi-même. Enfin.

  5. Thomas dit :

    Content que tu redescendes de temps en temps pour « poster » ! Car merci pour l’ascension.

  6. Muriel dit :

    Longtemps j’ai traîné une photo dans ma tête. Une photo en noir et blanc. Une photo qui ne m’appartenait même pas, que j’avais volée à Jacques Lacarrière. Une petite photo perdue entre les pages d’un livre dont le titre m’échappe aujourd’hui. Une photo que la mémoire transporte avec aisance partout où vos pas vous mènent. C’était la photographie d’une petite maison en pierre dont la terrasse, livrée toute entière à la lumière et à la chaleur, surplombait la Méditerranée. Banale, me direz-vous. Certes. Mais magique… parce que… parce que… ce qu’on n’y voyait pas, on le percevait quand même. Les aubes encore fraîches où s’attarde le silence. Les monts secs alentours peuplés d’oliviers tordus par les âges. L’espoir de leur rencontre et de leurs graves chuchotis. La solitude comme une mer apaisante pour nourrir les pensées, pour faire naître les mots. Les odeurs sucrées des figuiers barbares. La joie… J’aime la photo de ta maison d’alpage, Loïc. Et son arbre –un frêne ? – siamoisement lié. Elle me rappelle une belle image de Claudel, le poète, touché par la grâce de l’olivier. « De tes branches je ferais mon toit et j’enclorais l’ombre par un mur ».

    • F dit :

      Claudel encore :
      « Comme c’est beau, un soir d’été !
      Le silence béni s’emplit
      De l’odeur du blé qui fait le pain.
      Les seigles, et les luzernes, et les sainfoins,
      La tranquillité de tous les êtres… »
      Tes photos ravivent tous mes pélerinages, corps et âme,
      au coeur du Parc des Ecrins
      et initient à ce panthéisme serein et intemporel dont nous avons tant besoin…

  7. Peu importe dit :

    Donc il faut des photos, encore des photos.

  8. Cath dit :

    Et voilà … en quelques secondes le monde alentour n’existe plus. Je me suis laissée emmener aux détours de tes mots, de tes photos, là-haut. Petits moments suspendus qui me font dire qu’en redescendre doit nécessiter un boostage et… vlan ! réalité du quotidien … !

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